vendredi 20 novembre 2009

Une nuit, un train

C'était un soir, tard, gare d'Austerlitz. Je venais de débarquer de ma province pour prendre un train de nuit qui devait m'emmener jusqu'à Biarritz pour l'une ou l'autre affaire professionnelle. Le train partait vers 20h, j'avais un peu d'avance. Ma petite valise était déjà déposée dans le compartiment couchette. Je voyageais léger, c'était juste un aller-et-retour sur 36h, retour le lendemain soir. En train aussi. J'aime le train de nuit. Beaucoup plus que l'avion. Quand la destination le permet, évidemment. On part la veille, on dort (pas toujours parfaitement, mais j'ai la faculté de pouvoir dormir presque partout) et on arrive au matin, tranquillement, ayant encore le temps de se prendre un petit déjeuner en ville avant de se rendre à sa réunion. Faites la même chose en avion, et vous devrez vous lever aux aurores, prendre une navette, passer des formalités d'enregistrement rébarbatives, voyager avec les genoux sous le menton si votre employeur est assez pingre pour ne pas vous offrir la business class (ce qui est généralement le cas), et au final vous n'arrivez pas plus détendu dans un aéroport dans lequel vous devez encore vous livrer à la chasse au taxi (quand on ne vous impose pas la navette). Pour finir, à cause des embouteillages matinaux, vous arrivez juste à temps à votre réunion sans même avoir eu le temps de déjeuner correctement.

Mon compartiment était dans le dernier wagon de seconde (un ami pointilleux me dirait que pour des voyageurs, on en dit pas un wagon mais une voiture, ce à quoi je lui répond que je les appellerai voiture quand ils seront vraiment dignes de ce nom, et que de toute façon la chanson commence pas "Dans un wagon d'premièeeere..."), denier wagon de seconde, donc, avant les premières classes. Quand on a goûté au confort du train de nuit en première, on regrette la pingrerie de l'employeur évoquée plus haut, qui vous condamne à la seconde.

J'étais là, sur le quai à fumer tranquillement la dernière clope de la journée en attendant le départ, quand je la vis. Une apparition venue d'un passé pas si lointain, mais que je croyais révolu à jamais, ce temps où l'on prenait le train pour partir en voyage, où l'on avait le temps de voyager, et où voyage n'était pas synonyme d'entassement dans un charter. Elle était grande et brune, les cheveux longs relevés en chignon, une jupe d'un grand couturier (Dior ? Givenchy ?) comme je les aime, droite, légèrement cintrée, mi-longue jusque sous le genou, d'une couleur discrète qui mettait la ligne en valeur. La veste était, elle aussi, d'une grande signature si j'en jugeais par la finesse de la coupe et la qualité de l'étoffe. On devine un chemisier en soie sauvage ou quelque chose d'approchant. Comble de l'élégance, elle portait des bas à couture d'un charme résolument rétro et un large chapeau, probablement d'une grande maison lui aussi. L'ensemble avait une classe, un style qui évoquait les gravures de modes représentant La Parisienne, symbole absolu du chic de par le monde.

Elle s'avança vers moi pour me demander du feu, le truc classique pour lier conversation. "Vous allez loin ?"

- Biarritz, et vous ?

- Saint Jean de Luz. Pour affaires ?

- Oui, et vous ?

- Thalasso. Je pourrais prendre l'avion, mais j'adore les trains de nuit.

- Pareil. Surtout depuis qu'ils ont refait les couchettes.

- Vous ne voyagez pas en wagon-lit ?

- Non, mon employeur est assez regardant sur les notes de frais. Mais j'ai déjà pris les wagons-lits pour partir en vacances.

- Je vous invite à boire une flûte dans ma cabine après le départ ?

- Je ne sais pas si c'est bien raisonnable, mais... avec plaisir.

Elle me donne son numéro de cabine, c'est dans le premier wagon-lit et je n'aurais pas à traverser la moitié de la rame sous l'oeil soupçonneux des couchettistes.

(à suivre)


[La photo est de Ilojleen, avec gratitude]

1 commentaire:

  1. Effectivement une suite s'impose pour ce récit qui nous met l'eau à la bouche...

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